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Variation

Égypte

Il est assis dans un canapé. Il est couché, cassé, bou

La dualité

Peut on parler d’une Égypte aujourd’hui? Et, dans ce cas, quelle est elle? Comment une identité peut-elle être baser sur un paradoxe vivant? La confrontation de deux Égypte l’une qui n’existe plus, l’autre qui n’existe pas encore. La première est vivante, la deuxième, on la tue. La vie de ce pays est soumise à deux morts.

L’Égypte des pharaons, civilisation magique et magistrale, extraordinaire. Cette culture a disparu, emportée par le temps et les conquêtes. Il nous reste d’elle des vestiges prestigieux, si présents qu’il est tentant de les sublimer, d’en faire le symbole d’un pays. Pourtant, elle est morte après avoir bien vécu. Aujourd’hui, ils veulent la ressusciter. Elle devient alors la richesse de ce pays, son centre d’attraction. Toi, l’étranger, si tu viens en Égypte, tu visites les temples, les ruines, les musées… Les pharaons pouvaient ils imaginer que 50 siècles plus tard, ils seraient à nouveau des Dieux, longtemps après le paganisme, après le monothéisme, au-delà d’un aspect spirituel… Non par le biais d’une religion mais par le pouvoir de la devise. Nouvelle loi. Toi, l’étranger, tu reviens de voyage et tu te targues de connaître l’Égypte, tu montres des photos, des souvenirs, tu crois que tu reviens plus cultivé… qu’as tu vu de l’Égypte?

L’Égypte de cette fin de siècle est miséreuse mais jamais misérable. Elle ne connaît ni son passé ni son avenir. Une Égypte que l’on cache, qui se cache. Elle s’effondre sous le poids de ses fondations. Ces fondations que les spécialistes déterrent et que les nations unies sauvent des eaux. Merveilles du monde. Qu’en est il des constructions récentes? Et, toi l’Égyptien, tu les crois aussi dénuées de tout intérêt, tu nous entraînes vers cette fascination collective, vers les rivages lointains d’une civilisation morte qu’on n’a pas finie de faire revivre. Le présent s’assimile au passé…

L’Égypte se perd à force de se souvenir. L’Égypte se meurt à force de s’oublier. Et je me suis révoltée contre cette injustice. L’Égypte est aussi la terre de mes ancêtres, ils sont arrivés bien après les empires. Il ne reste rien d’eux parce que l’Égypte a nié son passé proche. Ce ne serait pas si grave… mais elle refuse aussi son présent. Je ne suis pas sûre qu’il reste une place pour son avenir.

Le sourire

Le peuple égyptien est un peuple du sourire, éclatant, rayonnant, expression d’un bonheur éternel et secret. Ils sont beaux mais leur sourire transcende l’esthétisme. Il est large et généreux. Leurs lèvres se retroussent spontanément et dévoilent des dents blanches ou pas de dent ou des dents en or. Des dents : barrière vite dépassée. Bientôt, ils exhibent aussi leur gencive. Ce sourire prend alors une dimension carnassière, il dérange par son excès, il ravit et emporte tout dans une faculté de liberté envahissante. A ce moment, déjà leur sourire s’agrandit, ils offrent leur gorge. Sourire de l’intérieur, il fait plonger celui qui le reçoit sans inhibition dans leur chair. Peu à peu, l’ensemble de leur visage s’anime, chaque parcelle devient un sourire.

L’essence de ce sourire ne peut être que la générosité, la fierté et la sagesse. Sagesse de l’instant présent, celle du premier contact. Une intuition. Celle de l’éphémère. Une immense clarté illumine leur visage. Lumière de l’absolu certitude de la mortalité. « Souris à la vie et elle te sourira ». Symboliquement, ce sourire est une opposition à la rétention. Il ne peut être qu’un don. Comment ne pas sourire en retour?

Ce sourire m’a tellement ému que je me suis assise et j’ai regardé. Était ce une hallucination? Mais le monde m’a paru plus beau. Le sourire est l’unique chose qu’ils peuvent encore offrir quant ils n’ont rien. Ils sont alors riches de leur dignité. J’aime l’extravagance de leur sourire. Si loin de notre morale étriquée, de nos conventions policées. Ce sourire était celui de ma mère. Partout sur mon passage je l’ai retrouvé et dans leurs yeux rieurs, j’ai cru deviner son regard qui se posait.

L’élite

L’Égypte se trompe d’élite. Il fût un temps où pouvoir signifiait savoir. Ceux qui possédaient la connaissance avaient accès à la richesse. Parfois, le processus s’inversait, plus lâche. Pourtant, juste ou pas, le système fonctionnait dans le sens du développement du pays. Les fonctions intellectuelles y étaient prisées. Par essence elles permettaient la pensée.

Aujourd’hui, l’Égypte croit que son salut est économique. L’argent là bas, il n’y en a pas. Il faut donc le chercher où il se trouve. Ailleurs. Avec force de propagande et de conviction, le gouvernement multiplie les incitations « à l’ouverture ». Tourisme champion de la rémunération. Export au club Bichadech plus sélect que le Saint James. Le pays ne peut que se perdre dans cette course effrénée au capitalisme. Un jeune sociologue, domaine autocentré s’il en est, est serveur dans un café réputé : « c’est plus facile et je gagne très bien ma vie. » Il a 27 ans, parle trois langues, d’une certaine vivacité d’esprit. Une guide gagne 5 à 6 fois plus que son mari médecin dans le plus grand hôpital d’Alexandrie.

L’élite intellectuelle et politique a fui, elle a laissé la place a cette élite économique. Les investisseurs sont présents alors que les écrivains se terrent. Peur d’être assassinés. Les juristes se spécialisent dans le domaine des affaires. Les efforts sont systématiques là où est la devise. Quelle tristesse ! Comment ne pas ressentir une trace de culpabilité de contribuer par notre présence même a ce processus dégradant pour une culture, humiliant pour un peuple.

Le scarabée

On a toujours besoin d’un scarabée chez soi…

Le scarabée n’est ni mâle ni femelle, il est, simplement, dans son entité, celui qui se reproduit seul. Pour ce faire, il dépose sa semence dans une boule qu’il fait ensuite rouler entre ses pattes pendant le temps d’une journée. Il imite ainsi la course du soleil. Cette similitude a généré une association d’idée très étroite entre boule, soleil, auto engendrement et régénération…

Le scarabée est ainsi devenu la forme primordiale du Dieu le plus grand d’Égypte, le Dieu Râ. Râ, Dieu Soleil a trois formes. La plus pure est celle de l’image symbolique du soleil levant : le disque d’or ou le scarabée.

Le scarabée, Dieu protecteur, synonyme de vie et de félicité, est aussi objet de magie. Sous forme d’amulette, il est le seul à pouvoir être placé sur le corps d’un mort avant la première couche de bandelette de la momification. Il est posé exactement sur le cœur, seul organe encore présent. Il sert à préserver ce cœur pendant son voyage d’une journée et d’une nuit avant la pesée, sorte de jugement dernier.

Le thé

En Égypte, le thé est la boisson la plus prisée et… consommée.

On peut y goûter le matin au réveil, noir; le midi, très léger; de la fin de journée jusqu’au plus profond de la nuit, à la menthe. Ainsi, le thé rythme la vie de plusieurs millions de gens, sans distinction d’âge, de genre, de milieu social. Avec ou sans argent, avec ou sans éducation, partout et par tous les temps, les Égyptiens boivent du thé.

Ils n’y pensent même plus d’ailleurs, le thé entre en eux tel un corps étranger déjà digéré. Leur langue et leur palais ne réagissent plus au contact du thé le plus glacé ou le plus brûlant. Toi l’étranger, tu pleures de douleur. Ton voisin lui sourit, le thé est son harmonie. Toujours accepté.

Le thé a toujours eu cette place privilégiée n’est ce pas? Tradition ancestrale jamais reniée, jamais défaite. Peu importe les bouleversements, le thé est une valeur éternelle, inchangée. Qui touchera au thé? Une révolution renverse une monarchie, les structures d’un pays sont balayées, mais le thé immuable est servi à toute heure du jour et de la nuit, dans les villes et dans les campagnes.

Parce que le thé en Égypte est un symbole plus qu’une habitude de goût. Il est le signe de l’amitié, de la fraternité. Tu offres un thé à celui qui n’a rien d’autre que son sourire. Déjà tu l’autorises à la dignité. Le thé est un rituel, une manière de vivre en paix, avec soi même, avec les autres.

Le thé est la marque d’un foyer ouvert. Dans une maison ou une cabane, si une théière est exposée, chacun sait qu’il est le bienvenu pour discuter, échanger, partager et… boire une tasse de thé.

La disparition

Le Caire, ville de mon inconscient. Le Caire, ville de tous les paradoxes. Le Caire, ville monstrueuse et attachante. Comment une ville peut-elle changer à ce point? Renaître autrement? Le Caire d’aujourd’hui a vu le jour en 1956, Nasser était déjà au pouvoir depuis 4 ans, il a nationalisé le canal de Suez, déclenchant une crise politique sans précédent. De cet événement découleront le panarabisme et la toute puissance de l’islam. Cette année là, les derniers juifs récalcitrants sont partis, les coptes ont baissé la tête… les autres ont attendu que cela se passe. Et le Caire, ville des sages est morte. Le Caire, ville de la multitude et de la cohabitation s’est enfoncée dans le risque de l’unicité.

Les librairies, lieus de rencontre privilégiés pour tous les intellectuels, ont été fermées faute de clients. Les palais, signes de l’opulence du roi Farouk et de sa cour ont été détruits pour asseoir le nouveau régime. Les traces d’une société onie ont brûlées lors des deux terribles incendies du Caire, conséquences des émeutes.

Le Caire de cette époque contemporaine reniée, a été englouti sous la fièvre de la « démocratie ». Du plus profond de mon âme, je me souviens du dernier bal de l’ambassadeur. Les étoffes chamarrées bruissaient dans la moiteur de l’air. Le buffet venait de Paris. Les lumières rivalisaient d’éclat avec le regard des jeunes filles. Les corps élancés s’étourdissaient dans une valse sans fin. C’était en 1952. Nasser déclenchait le coup d’état. Et moi, je riais à n’en plus finir. Nous étions frivoles et inconscients. Ils ne savaient pas. Pour eux la mort ou l’exil.

Mais, vous vous êtes trompés d’ennemi… En voulant rejeter l’Anglais envahisseur, vous avez repoussé l’Égyptien d’une autre religion. Vous avez généré le sectarisme et engendré le rejet. Pour quelle cause? L’indépendance? Le pouvoir? Celui d’un homme charismatique qui a su manipuler la fierté paroxysmique d’un peuple. Ils ont fui. Aujourd’hui, les vieux les regrettent. On ne refait pas l’histoire.

Je pleure ce Caire superficiel mais étourdissant, critique mais généreux, facile mais passionné. Je ne l’ai jamais connu : il a disparu.

Les échos

L’Égypte de ma mère, l’Égypte de ma famille n’existe plus. Elle s’est perdue dans les méandres d’un bouleversement politique. Il ne m’en reste que des brides, volées au hasard des rencontres et surtout des odeurs ou du goût. Petits morceaux de puzzle que je recolle à des histoires, presque des légendes… le seul élément unificateur est la mémoire, bientôt, elle aussi disparaîtra…

Des graines de lupins en vrac sur une charrette tirée par un âne; petits soleils comestibles. Des piles de cornet en papier blanc; tours branlantes. Les manger comme un jeu, un disque jaune coincé entre les dents; extraire la chair d’une cosse de peau fine et translucide; renouveler l’opération en changeant de place dans la bouche; tenter d’être habile et rapide. Leur goût salé n’est pas vraiment agréable mais il est doux, le goût de mon enfance.

Une femme avenante, vieille de toute une vie. Elle tient un enfant par le bras, par le cœur. Rire aux éclats. Sa main noueuse lui prend le visage. Il s’en va. Deux doigts lui pincent la joue, elle les porte à sa bouche et les embrasse. Pincement de l’âme, reconnaissance du geste.

Les terrasses de café envahies par de beaux vieillards. Élégance de la galiabech blanche ou bleue. Chaleur des peaux tannées. Sagesse des regards qui ont déjà accepté l’issue, douceur de leur attitude. Ils respirent l’humilité de l’homme qui sait et l’assurance de celui qui a été aimé et choyé. Aura de virilité. Leurs femmes omniprésentes dans l’absence. Ils boivent du thé, fument le narguilé et jouent au trick track. Valse des jetons blancs et noirs sur des triangles inversés. Rayonnement de mon grand-père et de ses frères, je l’ai tant aimé, en partie retrouvé, et déjà réconcilié. Image de l’homme de mes rêves, puissance de ma névrose.

La sieste, savoir vivre de ceux qui savent qu’ils ont le temps, de ceux qui savent ne rien faire. La chaleur est prétexte à cette plénitude. Il ne s’agit pas de dormir mais de se reposer. Repos du corps et de l’esprit. Parenthèse jouissive dans une journée. D’aucun ferme les yeux, les autres discutent à voix basse, certains lisent… les derniers ont des siestes coquines.

J’aime ces échos comme autant de dons du ciel, au-delà du raisonnement, la certitude de la tradition et de la culture familiale sans nationalité avec simplement des réflexes, des instincts, une plénitude et des larmes. Je vous ai tous reconnus sans vous connaître. D’où je viens, qui je suis, où je vais? Les pas de l’amour m’ont guidée pour accepter.

Osiris et Noun

Osiris, Dieu d’entre les dieux, dieu des vivants et dieu des morts, j’aime ton histoire plus que toutes autres.

Osiris est le dieu de la fertilité et de l’amour, dieu perpétuellement bon et aimé de toute la terre. Son frère Seth est jaloux, méchant. Un jour, il décide de détrôner Osiris et de prendre sa place. Pour ce faire, il invente une ruse. Il fait construire un cercueil magnifique. Lors d’une soirée, il promet l’objet à celui qui s’y sentira comme dans un lit. Beaucoup essaye, tous échouent, ils sont un peu trop grand, trop petit, trop mince, trop gros… Osiris généreux et humble n’avait pas essayé, ayant lui-même de grandes richesses, il lui semblait injuste de gagner un tel cadeau. Mais, son frère le pousse. Bien sur, il est conçu pour lui. Osiris dedans, Seth se précipite et ferme le couvercle. Il jette le tout dans le Nil.

Osiris avait aussi entre tous ses bonheurs une femme douce, aimante et attentionnée : Isis. Folle de chagrin, celle-ci se met immédiatement à la recherche du corps de son époux. Elle finit par le retrouver, le ramène et l’enterre en Égypte.

Seth, définitivement haineux arrache le cadavre à la terre, le découpe en 13 morceaux et les jette dans le Nil. Après une longue quête, Isis récupère tous les morceaux sauf un, son sexe qui a été dévoré par un poisson. Devant tant de courage, de pugnacité et d’amour, Anubis leur frère décide de ressusciter Osiris afin qu’il puisse offrir à Isis un fils. Pour cela, il découpe des bandelettes de coton, les trempe dans un onguent et enferme les 12 morceaux du corps d’Osiris dedans. La première momification a vu le jour. Osiris reprendra vie dans le royaume des morts. Du liquide des bandelettes naîtra Horus, le nouveau dieu des vivants.

Noun ma déesse préférée était une rebelle, déesse du ciel, elle n’en a fait qu’à sa tête mais a changé notre calendrier.

Râ, le père des Dieux avait interdit à ses enfants les relations sexuelles. Mais Noun aimait son frère le dieu du vent. Tant et si bien que leur amour devint charnelle. Joyeuse, elle continua sa vie. Mais, un jour elle fut malade. Elle comprit avec stupéfaction qu’elle était enceinte. Son forfait allait être su de tous. En plus, elle attendait des quintuplés. Son père en colère la châtia. Elle ne pouvait pas accoucher, aucun des 360 jours de l’année. Alors, son frère souffla tant et si bien qu’il freina la course de la terre pendant 5 jours. C’était juste suffisant pour qu’elle ait ses 5 enfants et l’année se retrouva avec 365 jours…

Cette déesse est magnifique, longiligne et gracieuse, elle est représentée de profil, les deux mains et les deux pieds reposants sur la terre, en fond, un ciel étoilé bleu nuit qui parfois est aussi sa seule tenue.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus