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Variation

Patrick

Patrick. Un homme. Un acteur. Patrick et Marion, combien de fois vus en concert ou sur une scène dans cette alchimie inouïe de l’amour dépassé, transcendé, sublimé dans la création. Patrick et Marion. Patrick s’en est allé. Marion est restée. Je pense à elle. Et je pense à lui. Je pense à nos conversations partagées, à ces confidences, à ce vin qui coulait à flot, parfois trop, et puis, plus souvent à ces cafés, sans saucisson, mais toujours avec tellement de générosité. Est-ce qu’il était un ami ? Oui. Sans doute. Il était en tout cas une personne qui comptait. Patrick. Je pense à lui. À la mort. À la vie. Et je suis fâchée. Patrick. Ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier. C’est ce que je me suis dit quand j’ai su que tu étais parti. Ce sont toujours les meilleurs qui partent en premiers. Avec toi, cette expression prend tout son sens. Sur les réseaux sociaux, là où la mort devient publique, tu es salué, même par ceux qui ne connaissaient pas ton intimité, parfois te connaissaient à peine. Mais, ils t’aimaient. Ils savaient, sans même se le dire, ni te le dire, que tu faisais partis de ces meilleurs. Ces meilleurs qui partent en premiers. Plus tôt. Trop tôt. Toujours trop tôt. Je pense à eux. Je pense à toi. Je pense à la mort, à la vie, que nous avons souvent saluée, que nous avons, plus qu’à notre tour, toi et moi, défiées, la mort ou la vie, dans ses voyages incertains, et toute sa sinuosité. Ta vie, la mienne, n’était, n’est faite que de questions, sans doute de culpabilité, et de ce désir, par-dessus tout, d’aimer. D’aimer. De protéger. De faire. Le bien. Le meilleur. Ce sont les meilleurs qui partent en premier. Patrick. Ta vie n’était que questions et ta mort me laisse sans solution. Encore. La mort. Je la côtoie depuis toujours et pourtant je ne l’aime pas. Même si je comprends ton choix. Alors, ce n’est pas à la mort que je dois en vouloir mais à la vie ? Foutu maladie. Non, sans doute pas. Je sais que je dois accepter la mort. Même des meilleurs. Même si elle paraît injuste. Même si. C’est aussi comme ça que j’accepterai la vie. Il n’empêche, la mort parfois apparaît comme une absurdité. La tienne en fait partie. Je sais, tu ne serais pas d’accord avec moi. Tu me parlerais de karma. Tu me dirais que la mort est un voyage. Toi qui voyageais si loin pour trouver, peut-être, des réponses, une chose que nous avions en commun. Certains voyages sont plus ardus que d’autres. Ta vie était de ceux-là, tu l’as accomplie avec l’élégance de ceux qui savent. La mort. Au bout du chemin. Patrick. Tu es partie, pas loin, sans laisser de traces. Le bon voyageur ne laisse pas de traces. Lao Tseu ne s’est pas trompé. Il savait que les meilleurs partaient en premier et ne laissaient derrière eux que le flot de l’amour et de l’amitié, de cette générosité si précieuse qu’elle en devient une exception, une humilité. Patrick. Tu étais humble. Et généreux. De ceux qui savent. De ceux qui ont souffert. Et tous se souviennent au moment de ta mort de cette absolue vérité. Ils savent ce que tu leur donnais, une présence au-delà. D’être là. La certitude. De la mort. Pas loin. Faire le bien. En attendant. Être le meilleur. Je ne suis pas dans les meilleurs. Je râle contre la vie, la mort. Je n’accepte pas que les meilleurs partent en premier. Personne ne s’y fait. Je crois. En tout cas, moi, je ne m’y fais pas. Tellement de gens auraient dû mourir avant toi. Je sais, c’est absurde sans doute de dire ça, mais c’est vrai, tellement de gens auraient dû mourir avant toi, mon père le premier. Patrick. Tu es parti, passé, sans faire d’enfants. Tu n’as jamais été père et, même si ce n’est pas le sujet, je pense à eux, tes enfants, qui n’ont pas existé. Tu n’as jamais été père, mais tu es parti en laissant des orphelins, les enfants d’une femme que tu as aimée mais pas que, tes amis, moi, et d’autres, ceux qui te connaissaient, vraiment, et puis Marion. Et puis, la création. Patrick. La mort fait partie de la vie et tout le monde s’y soumet. Moi aussi. Mais pour cette fois, je voudrais que ce ne soit pas vrai. Que les meilleurs ne soient pas partis en premier. La mort m’insupporte, m’emmerde dans son absurdité, de cette règle inconséquente, les meilleurs en premiers. Dis donc, la grande faucheuse, prend donc les méchants et laisse un peu les autres, les bons, les gentils, les innocents. Mais non, il semble que ceux-là partent en premier. Tu savais ça, toi. Nous en avions déjà parlé. La mort prend les meilleurs en premier. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils essayent d’être bons, qu’ils savent le prix du vin, de la peur, de la vie. Du désespoir aussi. Souvent, les meilleurs ont souffert. Ils ont été blessés. Et avec ça, ils n’ont pas renoncé à leur capacité d’aimer. Ils préfèrent retourner contre eux toute forme d’agressivité. Pourquoi ? Pourquoi certaines personnes qui ont soufferts ont perdu leur capacité d’aimer et d’autres pas ? Patrick faisait partis des premiers. Il avait souffert, même s’il n’aimait pas le dire, et il n’avait pas, mais vraiment pas perdu sa capacité d’aimer. Il s’est battu, contre vents et marées pour la conserver. Du Pérou à Marrakech, il cherchait à côtoyer ses démons intérieurs. Ses terreurs. Pour ne pas les imposer. À l’extérieur. Pour ça aussi, il était le meilleur. Qui savaient ? Je veux dire pour sa quête à l’intérieur. Pour ce qu’on ne voit pas. À l’extérieur. Pour son combat. Ce combat incessant contre le mal, contre la mort. Ce combat pour la vie. Qui savaient ? Marion. Hervé. Véronique. Et quelques autres c’est certain. Les autres ne savaient pas mais devaient s’en douter. Patrick. Il a toujours choisi sa vie. Il a choisi sa mort. Il a gagné son combat. Il a répondu à une vraie question. La vie est-elle toujours indispensable ? Non. Pas aux meilleurs. Les meilleurs partent souvent en premier. Ils vont ailleurs, ils étaient ailleurs, pas tout à fait incarnés. Patrick. Il le savait. Il le savait qu’il risquait de mourir jeune. Il n’avait pas de regret. Il avait vécu. Il avait essayé. Il est parti en premier. Et je me m’habituerais jamais. Je ne suis pas la seule. Personne n’aime que les meilleurs partent en premier. On ne s’habitue pas à la mort de ceux qu’on aime. On ne peut que l’accepter. Et devenir à notre tour les meilleurs. De notre vivant. Pour monter qu’on aime, être là, à un concert, un show case, un anniversaire. Soyons présent. Les meilleurs à ce jeu-là. Pour défier la mort. Pour crier la vie. Qu’on est vivant. Pour ne pas regretter. Il n’avait pas de regret.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus