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Nouvelles du monde

Enfants du monde

Il est 11 heures. Un mardi. Je m’installe à la terrasse du café Saint Médard. Il fait beau. Les derniers moments de l’été indien. J’aime cette saison. J’aime ce café où je m’installe une ou deux fois par semaine, vers 11heures. Pour boire un café servi avec un sablé. J’aime le sourire de tous ici, celui d’une serveuse en particulier. Je ne connais pas son nom. Je sais qu’elle habite Belleville. Quand elle me voit arriver, son visage s’illumine. Chaque fois, cela me touche. Son sourire est gratuit. Inconditionnel. Une fois, une petite voix au fond de moi a dit, pourquoi moi ? Mais voilà. C’est juste parce que c’est moi. C’est un sourire qui donne de l’amour. Qui éclaire. Un peu. Le monde. Je pense à ça quand je m’assois. Elle m’apporte mon café allongé, mes sucrettes et mon sablé. Je souris. Je n’ai même plus besoin de commander. Elle sourit aussi. Elle me connait. J’aime cette familiarité. Je suis bien. Un rayon de soleil sur le coin de ma table. Je suis bien. Je vais appeler Enfants du monde, un OAA. Un Organisme Agrée pour l’Adoption. J’ai envoyé un dossier d’adoption en Mongolie. J’ai de l’amour à donner et je suis tombé en amour de ce pays.

Cela fait un mois que je cherche à les joindre. Normalement, il y a une permanence le mardi et le jeudi matin, ça tombe bien ce sont les jours où je viens dans ce café, mais, chaque fois, je tombe sur le répondeur. Il y a un numéro à faire en cas d’urgence. Il n’y a pas vraiment d’urgence. J’attends depuis longtemps. Je peux attendre un mois de plus. En Mongolie, il y a une liste d’attente d’enfant. Qui attendent. Que vaut pour un enfant un mois, une semaine, un jour, même une heure de plus dans un orphelinat ? Plutôt que dans mes bras ? Le temps est relatif. En cas d’urgence. Quelle est l’urgence pour cet enfant-là ? D’accord, il y a urgence. J’appelle. Je sais que ce numéro donne un autre numéro, celui d’un portable. Doucement on est pressé mais quand même, le mardi et le jeudi d’avant, j’avais tenté. J’appelle donc le portable sans urgence. Juste pour dire mon envie. Mon désir aussi. Une femme décroche. Bonjour Madame, il n’y a pas d’urgence, je me suis permise de vous appeler parce que voilà. Vous avez bien fait. J’ai bien fait. Je suis soulagée. Dans ce genre de chemin, tout accompagnement, joie, soutien, est le bienvenu. Merci Madame, vraiment. Voilà. Je souhaite adopter un enfant en Mongolie et j’ai vu que. Je n’ai pas le temps de finir ma phrase. Elle me coupe. Elle n’envoie plus de dossier en Mongolie. C’est comme ça. Je n’ai pas à savoir pourquoi. C’est comme ça. L’état Mongol lui a demandé de ne plus envoyé de dossier. Elle n’envoie plus de dossier. De toute façon, en 11 ans, il y a seulement 10 enfants mongols qui sont entrés en France. Le dernier au début de l’année. Elle n’envoie plus de dossier en Mongolie. Donc. C’est fini. C’est tout. C’est comme ça. Si je m’obstine à vouloir adopter dans un pays fermé, c’est mon problème. Il y a d’autres pays. Je n’ai qu’à aller en Haïti. J’encaisse. Je ne dis rien. Je pense au sourire de la serveuse, au soleil sur ma table et au sablé que j’ai mangé. Je respire. Une petite voix au fond de moi me dit, ne t’énerve pas, elle a surement ses raisons que tu ne connais pas et puis, si tu veux adopter en Mongolie, il n’y a qu’elle. Tu te souviens, Enfants du monde est le seul organisme agréé pour la Mongolie. C’est ta seule chance. Ne t’énerve pas. Je respire. J’ai beaucoup de mal avec les discours préétablis, l’absence d’écoute, les boulevards d’agressivité, l’émotion mal canalisée, le manque d’amour quoi. J’ai beaucoup de mal avec ça. Je respire donc. Après tout, cette dame ne s’adresse pas à moi. Pas vraiment. Je la laisse parler. Je lui dis quand même que là-bas j’ai des amis, que l’orphelinat est OK et que des enfants sont sur liste d’attente, dont un pour moi. Elle s’en fout. Elle, enfin elle dit « on », bien cachée derrière son association. Donc. On s’en fout. Elle ne dit pas ça comme ça bien sûr mais quand même. On n’est pas là pour trouver des enfants, on est là pour trouver des parents pour des enfants qui ne pourraient pas être adoptés en Mongolie. Heu. D’accord, mais si un enfant trouve un parent ? Et qu’en même temps un parent trouve un enfant ? Je veux dire. La liste d’attente. Et moi qui attends. Ça ne change rien. Même si j’arrive à adopter un enfant par mes propres moyens, je ne pourrais pas le ramener vu que sans elle, enfin sans son association, pas de visa. Voilà. C’est elle qui me dit ça. Moi, je n’y pensais même pas. Donc, je résume. Je pourrais bien adopter un enfant Mongol mais je n’aurais qu’à rester là-bas, c’est ça. C’est ça. De toute façon, la Mongolie c’est fermé. D’accord. Mais, la Mongolie n’est pas officiellement fermée. Je veux dire. Je voudrais envoyer un dossier. On peut essayer ça. On verra. La Mongolie c’est important. Je suis tombée en amour de ce pays.

Et je lui raconte. Que dans ma vision du monde, on ne déracine pas un enfant, même à l’adoption. Surtout à l’adoption. Déjà qu’il n’a plus de parents. Laissons-lui son pays. En tout cas, moi, je vois ça comme ça. C’est pour ça la Mongolie. Que ça pourrait être un autre pays, un pays que j’aime et qui accepte les célibataires car, comme je lui ai dit, je suis célibataire. Ça pourrait être le Maroc. Je vais relancer le Maroc. Ma mère était égyptienne. Ça fait sens. Voilà et si j’ai deux enfants, ce sera très bien. Elle me coupe. Vous avez un agrément pour un. Ah oui, c’est vrai, l’adoption est une question d’administration, j’oublie souvent ce genre de considération. Je m’arrête une seconde. Je me dis que l’administration me donnera bien la permission. Je me le dis mais je ne lui dis pas. Ce n’est pas le débat. Bref. Donc, je voudrais quand même envoyer un dossier en Mongolie. Il y a une liste d’attente qui m’attend là-bas et puis, j’ai des amis. Vous voyez, la Mongolie et moi, c’est sérieux. Elle s’en fout. Je n’ai qu’à aller à Haïti. Oui. D’accord. Pourquoi pas Haïti. C’est juste que je ne connais pas Haïti. Une amie à moi a adopté à Haïti. Elle ne connait rien à la culture haïtienne. Elle s’en fout, moi pas. Je ne la juge pas. Juste je ne vois pas le monde comme ça. Je crois sincèrement que quand on adopte un enfant, on adopte sa culture. C’est ma vision de l’adoption. J’ai un projet d’adoption. Je pourrais me renseigner pour Haïti remarque. Y aller ? Ça me vient l’espace d’une seconde. Elle me coupe le fil de ma pensée. Absolument pas. Vous avez un projet de parentalité. Je me tais devant l’absurdité. Elle enchaine. De toute façon, je vais dire quelque chose qui va vous énerver. Je vous en prie, allez-y, au point où j’en suis. Je. Parce que là le je lui échappe, elle se reprend. On n’accepte pas les dossiers de célibataires. Elle se reprend. On donne la priorité aux couples. Donc, vous voyez, même si la Mongolie avait été possible ça aurait été non, et je vous dis Haïti mais pas avec nous.

Je reste une seconde silencieuse. Je ne m’énerve pas. Je ne vois pas quoi répondre à ça. La colère viendra plus tard, pour l’instant c’est le désarroi. Le désarroi et la survie. Elle est la seule à pouvoir m’aider pour la Mongolie. Je n’ai que ça en tête. Ne t’énerve pas. Je déteste les injustices, les abus de pouvoir, les décisions arbitraires, les règles sans exception, les affirmations générales, je déteste tout ça, elle représente tout ça, et je ne m’énerve pas. Je reste coi. Elle continue, je n’entends pas, ou à peine, il vaut mieux que je n’entende pas, quelque chose sur les femmes célibataires qui n’ont pas d’enfants en couple. Elle est surprise que je ne réponde rien alors elle s’arrête. Je suis très calme. Je lui explique. Vous imaginez bien, Madame, que je suis comme tout le monde, si j’avais rencontré la bonne personne, une personne que j’aurais aimé, et qui m’aurait aimé, j’aurais fait un enfant par amour. Vous imaginez bien, Madame, que j’en rêvais. Vous imaginez bien que si j’avais voulu faire un enfant dans le dos d’un homme, je l’aurais fait. Même en me mentant beaucoup s’il le fallait. Vous imaginez bien, Madame, que si j’avais voulu aller en Espagne ou en Belgique faire une FIV avec don de sperme anonyme, je l’aurais fait. Vous imaginez bien donc, Madame, que si, en tant que femme célibataire, je fais le choix de l’adoption c’est un vrai choix. Un vrai projet. C’est ma vision du monde. Vous comprenez ? Malgré le temps, les difficultés, l’improbabilité, je préfère donner de l’amour à un enfant qui en a besoin. Je pense que son pays a de l’importance. Je me dis aussi que, s’il reste en lien avec sa mère biologique ce sera très bien. Vous comprenez Madame, un enfant ne m’appartient pas. Je lui dis tout ça. Tranquillement. Calmement. Je lui dis que j’accueille un réfugié. Que ce n’est pas la même histoire mais un peu quand même. Que c’est ma vision du monde. Que je suis là pour aider. Comme je peux. Qui je peux. Que, finalement, si, c’est un peu la même histoire. Une histoire d’amour à donner. Voila. C’est ça. J’ai de l’amour à donner. A un enfant. A un pays. A mes amis. A un réfugié. Au monde. C’est ma vision du monde. Elle se tait. J’enchaine. Je lui dis que je vais appeler Paris adoption, qu’elle a surement ses raisons, mais qu’il n’y a pas de raison. Elle entend quelque chose. Je me dis qu’elle va me dire oui, qu’elle va comprendre, envoyer mon dossier. Mais non, elle a entendu la peur. La peur qui est plus dangereuse que la haine parce qu’elle parait normale. La peur qui empêche l’amour. Elle a entendu la peur donc. Elle dit que si la MAI lui impose d’envoyer un dossier elle le fera. Elle a entendu que je ne lâcherai pas comme ça. Elle a eu peur puisse qu’elle n’est pas dans son droit. Et puis elle se reprend. Il ne faut pas exagérer, elle fera quand même sa loi, vu que je suis célibataire, elle refusera. Je n’insiste pas. Je raccroche.

Je me demande ce qu’est ce monde où une femme peut décider toute seule qui a le droit d’adopter en Mongolie ou pas. Je me demande ce qu’est ce monde où il est question d’administration, de lois, d’état, même quand il s’agit d’amour et donc de cas par cas. Je me demande ce qu’est ce monde où les enfants sont dans des files d’attente à l’orphelinat. Et même si ça n’a rien à voir mais quand même. Je me demande ce qu’est ce monde où on appelle les réfugiés des migrants alors qu’ils ont quitté leur pays pour ne pas mourir et certainement pas de leur plein gré. Je me demande ce qu’est ce monde où on confond immigration et exil. Je me demande ce qu’est ce monde où une personne, un maire, peut refuser le droit d’asile. Je me demande ce qu’est ce monde où la peur est omniprésente. De l’autre. De soi. Des lois. Et je me dis que je vais envoyer mon dossier en Mongolie, que je vais relancer le Maroc, que si j’ai deux enfants, ce sera très bien, que je vais accueillir un réfugié. Je me demande où sont tous ces enfants qui ont perdu leur parent sur le chemin de la guerre à la misère. Je me dis que la misère c’est la peur et que les réfugies sont bien peu miséreux. Je me dis que je vais me renseigner pour accueillir un enfant de réfugié, un enfant réfugié, et pourquoi pas un enfant français ? Je me dis qu’il faut beaucoup, beaucoup d’amour. Je me dis que j’ai de l’amour à donner. Et que je ne suis pas la seule. Que les gens sans raison ne feront pas leur loi. Mais que nous qui aimons nous ferons la nôtre. Et que l’amour est la seule réponse à la peur. Je me dis que je vais écrire ce texte et pourquoi pas acheter une page dans Libé. Parce qu’après tout avoir de l’amour à donner c’est aussi dénoncer. La peur. Quand elle n’a pas lieu d’être. Quand elle peut fermer des portes et des cœurs. Et des endroits d’amour à donner. Et que cette femme a surement ses raisons mais aucune n’est valable. Il n’y a pas de raison. Je me dis tout ça. Je paye mon café. Je ne vois pas la serveuse, je la cherche. Je la vois de loin, je lui dis au revoir avec un signe de la main. Elle sourit de ce sourire-là. Je me dis que l’amour c’est de l’énergie. Je me dis que décidément oui, je vais faire tout ce que je me suis dit et continuer à prendre mon café ici.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus