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Nouvelles du monde

L’âge de consentement

Au Maroc, je suis chez une amie, Samira. Il y a aussi sa sœur, sa mère, sa tante, la sœur jumelle de sa mère et sa cousine. Samira me raconte que sa mère a été mariée à 13 ans, et sa tante, jumelle à 12 ans. Pourquoi parlent-elles de ça ? Elles ont 70 ans passé. Parce que sans doute c’est quelque chose qu’on oublie pas. Qui nous définit. Voila. Sans doute. En tout cas, Samira me raconte ça. 12 ans. Maman. 13 ans. C’est leur père qui les a mariées. Elle me dit que c’est tôt. 13 ans, c’est tôt quand même ? Sa question comme une affirmation. Une recherche d’approbation. De consolation ? Oui c’est tôt.

Bien sûr que c’est tôt. Beaucoup trop tôt. Comment imaginer une petite fille de 12 ans, de 13 ans, mariée, une enfant, pas sorti de l’enfance, à peine entrée dans l’adolescence, mariée, donnée, à un homme, sexuellement, parce que c’est de ça dont il s’agit n’est-ce pas ? Oui, comment imaginer ? Les devoirs du mariage. De la nuit de noce. Écarte tes cuisses. D’enfant. Petit poulet. Tu m’appartiens. Je vais te manger. Te pénétrer. Te posséder. Qui ne dit mot consent. De toute façon tu es mariée. L’image, l’horreur, me submerge. Oui c’est tôt. Tellement trop tôt. 12 ans. 13 ans. Mariée. Violée. Mais non, mariée. Je ne peux pas imaginer. Je n’imagine pas. Oui, c’est trop tôt. Je n’imagine pas et je ne pose pas la question qui me taraude. Il avait quel âge lui ? Ton père. Son mari. Combien d’âge de plus qu’elle ? Parce qu’il était plus vieux n’est-ce pas ? Forcément plus vieux. Les hommes, les loups, aiment la chair fraiche. Les petites filles sont fraiches à 13 ans. Elles ont la chair fraiche. 13 ans. C’est tôt. C’est trop tôt. Bien sûr. 13 ans, c’est trop tôt. Samira baisse les yeux, pleine de compassion, de compréhension, c’était comme ça à l’époque. Oui, c’était comme ça à l’époque, n’empêche c’est trop tôt. Les yeux plein d’espoir aussi. Ce n’est pas comme ça en France. Non, ce n’est pas comme ça en France. Non, ce n’est pas comme ça. Même avant. Même à l’époque de mes parents. Même si mon père avait pour habitude de penser, lui aussi, qu’une petite fille, sa fille, de 12 ans, pouvait être mariée. À lui. Bien sûr. Je ne suis pas mariée. Samira non plus. Ceci explique cela. Peut-être. N’empêche, ce n’est pas comme ça en France. Non, ce n’est pas comme ça. Ce n’est pas comme ça. Non, bien sûr que non. Une enfant de 12 ans, de 13 ans, ne peut pas être consentante. Jamais. Car il s’agit de ça. Et, en France, donc, on ne peut pas se marier pas à cet âge-là. L’état y veille. Il y a la justice. Il y a la loi. En France, une enfant n’a pas à subir les assauts d’un homme. Assauts sexuels ça va de soi. Samira me regarde. Est-ce que nous avons vécu la même chose ? Cette connaissance intime, dans notre chair, qu’une enfant ne consent pas. Je ne sais pas. Mais je vois dans ses yeux ce que je sais, l’amour, la colère, la compassion, l’espoir, la nécessité. Ce n’est pas comme ça en France. Et si ça n’est pas comme ça en France, au Maroc ça peut changer. Elle espère. Pas de mariage. Pas de viol organisé. Civilisé. Accepté. Légalisé. La majorité sexuelle à 15 ans. La loi de l’enfance protégée. Oui. Bien sûr, que ça peut changer. Tout change.

Le reste de la soirée se passe en mode légèreté. Soupe et galettes marocaines à volonté. Samira est un amour. Sa mère aussi. Et les autres tout pareil. Des femmes. Pas d’hommes. Et puis, je rentre.

A l’hôtel, dans ma chambre, je me connecte à Facebook. Parce que aujourd’hui, le monde entier est relié, que c’est même comme ça que j’ai rencontré Samira, et que oui, grâce à ça, aussi, les choses peuvent changer. Oui, bien sûr que tout peut changer. Je me connecte et Facebook me dit que je me suis trompée. Ou pas. Tout change, tout peut changer mais aussi, pas dans le bon sens. En France, une fillette de 11 ans vient d’être jugée consentante parce qu’elle n’a pas dit non à un homme de 28 ans. Je le dis dans ce sens-là volontairement. Cet homme a été acquitté, jugée innocent, parce qu’elle a été jugée consentante. Elle n’a pas dit non. Qui ne dit mot consent. Il ne l’a pas violée. La justice fait bien plus que ne rien dire, elle dit, qu’elle le voulait. Que cette petite fille le voulait. Elle dit que cette petite fille de 11 ans voulait être baiser. Pardon de ce mot mais, comment dire autrement une fellation dans un ascenseur, une sodomie sur la moquette, on ne peut quand même pas dire qu’il s’agit d’amour, de faire l’amour ou si ? Histoire de nous faire avaler la pilule de son consentement à 11 ans. Jusqu’où ira le déni ? Non, Mesdames et Messieurs, les jurés, une petite fille de 11 ans n’est pas consentante. Jamais. Au mieux, elle est tétanisée. Au pire, elle a déjà été violée et elle connaît la chanson. Se taire pour survivre. Se dissocier pour oublier. Et puis, accepter pour continuer à exister. Mais, Mesdames et Messieurs les jurés, cette petite fille est déjà morte. Et vous la condamnez à une deuxième mort. Celle de se croire coupable là où elle a été abusée, sidérée, violée, tuée. Formidable. Bravo. Une petite fille de 11 ans est jugée consentante, en France, pas au Maroc, là, tout le monde pousserait des cris d’orfraie. Comment ? Ils marient leurs filles à 12 ans ? Les sauvages. Les arriérés. Mais non, ça se passe en France, aujourd’hui, et dans une cour d’assises s’il vous plaît. Et j’ai honte. Et je ne sais pas comment je vais pouvoir expliquer ça à Samira. Lui enlever l’espoir qu’ailleurs c’est autrement et que tout peut changer. Comme si ça ne suffisait pas, je lis autre chose. 11 ans. 13 ans. L’âge du consentement. Mon cœur bondit, mon sang ne fait qu’un tour, la garde des sceaux, la justice, d’un pays civilisé, le mien, envisage l’âge légal du consentement à 13 ans. 13 ans ? Mais, Madame, à 13 ans, les petites filles sont encore des enfants. Non ? Mais si. Si c’était au Maroc, si je vous racontais que la mère de Samira a été mariée à 13 ans, vous ne seriez pas d’accord n’est-ce pas ? Vous diriez que ce n’est qu’une enfant. Que ça ne se passerait pas comme ça chez nous. Mais, Madame, vous dites qu’une petite fille de 13 ans peut consentir des rapports sexuels pas mariée. C’est pire non ? Mais, Madame, qu’avez-vous à défendre, à protéger ? Avez-vous, vous-même été abusée ? Violée ? À 13 ans ? Justifiez-vous votre agresseur ? C’est un classique vous savez. Les victimes défendent souvent leur agresseur. C’est ça, Madame, que vous défendez ? Où ? De quoi il s’agit ? Une femme. 13 ans. Consentement. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas qu’une femme puisse défendre cette position, sauf si elle défend quelque chose de son passé. Mais, je ne sais pas et je ne veux pas savoir. Je sais juste que je suis atterrée. Que je ne sais pas comment je vais regarder Samira la prochaine fois. Ce n’est pas comme ça en France. Ce regard d’espoir et de foi. Ça peut changer au Maroc si ce n’est pas comme ça en France. La France modèle. Oui, ça peut changer. Non, ce n’est pas comme ça en France. Et bien si, c’est comme ça en France. En France, une petite fille de 11 ans est consentante. L’âge légal de consentement à 13 ans peut être envisagé. Et après tout, qui ne dit mot consent. Alors, si tu as 11 ans et que tu es violée par un inconnu dans un ascenseur, tu n’es pas violée, tu es consentante. Et, si tu as 13 ans et que tu es violée par ton père, ton frère, ton oncle, ton cousin, un ami de la famille, un prof, un entraîneur, tu n’es pas violée, chérie, tu es consentante. C’est Madame la garde des sceaux, la gardienne de la justice, qui l’a dit. À 13 ans, on est consentante. Oui, même avec ton père, ton frère, ton oncle, ton cousin, un ami de la famille, ton prof, ton entraîneur pourquoi pas ? Si tu es consentante avec ton prof pourquoi pas avec ton père ? Abus de pouvoir ? Que nenni. Tu n’as pas dit non, ça veut dire que tu as dit oui. Une question me taraude et je la pose. Quel âge ont ces hommes qui aiment, baisent, violent, des petites filles de 13 ans ? Ça m’étonnerait bien qu’ils aient le même âge qu’elles n’est-ce pas Madame ? Samira, je ne sais pas quel âge avait ton père quand il a épousé ta mère mais il était certainement plus âgé. N’est-ce pas ? Et c’est ça, aussi, qui rend ce mariage terrifiant. Il ne s’agit pas de Roméo et Juliette qui s’aimaient à un âge tendre. Non, il s’agit d’hommes et d’enfants. D’hommes et de petites filles. Alors, je me dis, mais pourquoi en France une petite fille de 13 ans ne pourrais pas se marier vu qu’elle est consentante à la sexualité ? Finalement le mariage forcé est moins hypocrite. Il a le mérite d’être assumé. Au moins, on sait contre quoi se battre. Et je me sens mal. Et j’ai la nausée. Ce n’est pas au Maroc ou ailleurs, non, c’est en France que ça se passe. En France qu’une femme ose dire qu’une petite fille de 13 ans pourrait être consentante. 13 ans ? Mais Madame avez-vous des enfants ? Avez-vous aimé être désirée à 13 ans ? Que vous est-il arrivé pour oser proférer une chose pareille. Je ne comprends pas. Je me rebelle. Je résiste. Non Samira, en France ce n’est pas comme ça et j’espère que nous serons plusieurs à le défendre bec et ongle. Une enfant de 13 ans n’est jamais, jamais, consentante. Madame la garde des sceaux vous faites le jeu des pervers et des pédophiles. Les pédophiles ont tous le même langage, les mêmes codes, les mêmes ruses et les mêmes justifications. C’est comme ça. Quasi du copié collé. Et, en gros, ça tourne toujours autours du fait que c’est l’enfant, la petite fille, mais aussi le petit garçon, qui le voulait. Évidemment quand c’est une petite fille c’est encore plus simple. Le mythe de la lolita a la peau dure. Tu as vu comment elle s’habille ? Elle m’a allumé. Regarde comment elle m’a regardé. Elle le voulait. Mais Messieurs, et même Mesdames, les lolitas ne sont que des enfants qui ont déjà été sexualisé. Et ça me fait penser à un ami. Un ami ? Il avait bien 60 ans quand, un jour, il m’a dit : « un ami à moi était dans un hôtel, bon il aime le sexe c’est vrai, mais là, tu vois, elle est sortie de sa chambre à moitié nue, elle avait 14 ans. Elle voulait. Non ? » Elle avait 14 ans ? Oui. Alors, non, elle ne voulait pas, elle n’était pas consentante. Mais pourquoi ? Parce qu’une fille de 14 ans n’est jamais, jamais, consentante, c’est comme ça. Il n’a pas insisté. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Une autre fois, je l’ai croisé. Ça m’a laissé un goût amer. Je me suis dit que j’aurais dû le gifler. Appeler la police. Je crois que je sais de qui il parlait. L’ami en question. Je n’ai rien dit. Que ce que je sais. Une enfant de 14 ans n’est jamais, jamais, consentante. Encore moins avec un homme deux à trois fois plus âgé. Et je n’ai pas appelé la police. De toute façon, aujourd’hui, la garde des sceaux dit qu’une petite fille de 13 ans peut être consentante alors, à 14 ans, imaginez-vous bien qu’elle le désirait. Et j’ai envie de vomir. J’ai honte de mon pays. Déjà, tous ces atermoiements sur la prescription m’exaspèrent. Mesdames et Messieurs, les jurés et autres gardes des sceaux ou de la justice, vous n’y connaissez rien, au viol, je veux dire. Une petite fille, non seulement, ne consent pas mais, oublie, se tue, meurt, pour pouvoir vivre. Oui, Mesdames et Messieurs, c’est ça l’amnésie traumatique, la mort psychisme pour éviter la mort physique. Oui. C’est comme ça. Et au-delà, la sidération. Alors, évidemment, dire non. Comment dire non ? Non, ce n’est pas possible, non, excusez-moi, je suis juste occupée à me tuer, pour ne pas mourir, alors non, excusez-moi, je n’ai pas pu dire non. Je ne sais pas ce que cette garde des sceaux a vécu, ni ces juges et ces jurés, qui proposent l’âge du consentement légal à 13 ans, jugent une petite fille de 11 ans consentante. Je sais juste qu’ils font le jeu de mon père, du frère, de l’oncle, du cousin, de l’ami de la famille, du prof, de l’entraîneur, de cet ami et de son ami encore plus, celui de l’hôtel. Mais si, elle était consentante, elle voulait, elle m’a allumé, ou même, et même, je lui ai dit non vous savez, elle voulait, elle avait 11, 12, 13, 14 ans, ou beaucoup moins et elle voulait, et je l’ai repoussée et puis, finalement, j’ai cédé, vous comprenez, je n’ai pas pu lui résister. Je suis sa victime en fait. Les pédophiles ont tous le même lexique et c’est celui-ci. Et, en France, on le justifie. Et j’ai honte. Et je compatis. Avec toutes ces petites filles, qui un jour ont « consenti », sont jugées consentantes, juste par ce qu’elles n’ont pas pu dire non. Parce que c’était leur père, leur frère, leur oncle, un cousin, un ami de la famille, un prof, un entraîneur, un homme de pouvoir, ou même un inconnu. Je compatis parce que je sais qu’elles sont à nouveau violentées. Et j’ai honte de mon pays. Parce que pour Samira, la France est un exemple et que je lui ai dit, non, c’est vrai, pas en France. Non, en France, ça ne se passerait pas, on ne peut pas marier une petite fille de 12 ou 13 ans. Non, en France c’est pire, plus retors, plus hypocrite, en France, on peut la violer sans être gêné, elle est consentante. Qui ne dit mot consent. Voilà, même pas besoin que ça se passe dans le cadre d’un mariage. Et la France qui se trouve tellement plus évoluée, tu sais, Samira, elle ne vaut pas l’espoir que tu y mets. Et ce soir, je t’ai dit que non, en France ça ne se passerait pas comme ça. Et ce soir et bien j’ai honte. J’ai honte d’être française. J’ai honte de notre justice et de nos lois. De ces femmes qui nous gouvernent, pire que les hommes sans foi ni loi, parce que, si c’est une femme qui le dit c’est plus difficile encore de ne pas y être assujettit. Ce soir, j’ai honte de mon pays.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus