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Nouvelles du monde

Le déluge

Le déluge. Il pleut. Un vrai déluge et soudain, j’y pense. Moi qui ne pense jamais au temps qu’il fait, je ne m’en occupe pas, je n’en parle pas, ce n’est pas la peine, je ne peux rien y faire, il fait le temps qu’il fait et cela ne sert à rien de regretter qu’il soit bon ou mauvais, de le juger. Nous n’y pouvons rien, c’est donc autant d’énergie gaspillée. Alors, je ne parle jamais du temps, qu’il pleuve ou qu’il vente, même la canicule, je la supporte stoïquement, même si, dans mon appartement, sous les toits, j’ai parfois l’impression de me liquéfier. Mais bon. Dans ces cas-là, je regrette surtout le manque d’air, la pollution, les 35 mètres carrés, trop petits, étouffants, étouffée. Parce que ça, oui je peux le changer. Je pourrais déménager, aller ailleurs, à la campagne ou simplement à la frontière, les périphériques, la grande banlieue. Chaque été, depuis quelques années, je me dis ça. Le prochain, été, si je ne le fais pas, je ne me plaindrais pas. Voilà. N’empêche, j’habite sous les toits et j’ai l’impression que depuis 4 mois, il pleut, tout le temps. Vraiment. Violemment. Pas une petite pluie, non, une orage. Un déluge. Une pluie diluvienne. Tellement, que je vais beaucoup moins à la piscine le matin, trop d’eau tue l’eau. Et, si c’est pour être trempée, avant et après, je renonce. Je sais, ce n’est pas une très bonne excuse mais quand même un peu. La pluie. Sous les toits. J’aime le bruit de la pluie sur le toit, c’est joli, poétique, ça fait plaisir, comme une petite musique, de jour comme de nuit. Mais là, depuis 4 mois, on est plutôt dans du Berlioz que dans du Chopin. Il pleut des trombes d’eau. Et soudain, voilà que je parle du temps. Du temps qu’il fait. J’y vois comme un signe. Le déluge. Quand j’avais 18 ans, je disais volontiers que je n’aimais pas parler de la pluie et du beau temps. Ces conversations m’ennuient. Elles ne racontent rien. Elles ne disent rien, de nous, à l’autre, au monde. Sauf si tu me dis pourquoi, comment, ce que ça te fait, le temps qu’il fait. Si tu aimes le soleil, raconte-moi la douceur sur ta peau, la chaleur à l’intérieur. Si tu ne l’aimes pas, dis-moi pourquoi. Parle-moi de toi. Il n’y a que ça, au fond, qui m’intéresse. Toi. Parce que toi. Toi et moi. Moi. Comprendre l’autre et soi. Rencontrer l’autre et soi. Et, si tu n’aimes pas la pluie, comme des larmes de Dieu, les tiennes qui, soudain, coulent trop fort, au-delà de toi, sur le monde en entier, le tien et le mien, je comprendrais. Je saurais, un peu mieux, qui tu es. Qui je suis. Moi, j’aime le soleil et j’aime la pluie, le bruit de la pluie sur le toit. Même en voyage, j’ai appris à accepter le temps qu’il fait, parce que je n’y peux rien changer. Alors, oui, autant l’accepter. Mais, là, soudain, il me semble que ce n’est pas une image, le monde, le ciel, l’univers, pleut, pleure, depuis des mois sans discontinuer.

Et, je me dis soudain, après moi le déluge. Le monde pleure, il a mal. Et, je crois oui, que le déluge est déjà là. Je crois que le monde a mal. Que nous l’avons mal traité et qu’il pleure, à force de notre égoïsme. Après moi le déluge. Je me dis que toute cette eau, finalement, nous raconte la plaie béante de notre civilisation. Société de consommation. Nous avons créé un monstre, des monstres, de déconnexion d’avec la réalité, d’avec l’univers. Nous voulons tout contrôler, tout gérer, même le temps qu’il fait. Nous voulons. Le roi dit nous voulons et nous voulons tous être des petits rois. Mon bout de ciel bleu à moi, pour quelques millions de kérosène. Mon pré-carré. Mon droit. Pauvres petits rois. Mes 35 mètres carrés. A moi. Avec mon chauffage. Mon eau. Mon électricité. Sans s’occuper de rien. Que du bain que je me fais couler. Cette pluie, que je ne veux pas. On ne peut pas l’arrêter s’il vous plait? Il y a bien quelqu’un qui va trouver le moyen quand même. Même au prix d’un dérèglement climatique ou d’une espèce animale. Extinction une à une des espèces. Elles auront survécu à tout et ne nous survivrons peut-être pas. Du guépard au ver de terre, l’homme fait sa loi. Après moi le déluge. Je veux. Moi, moi, moi. Je, je, je. Et je me dis que le déluge est déjà là. Qu’il y en a eu un, déjà, dans l’histoire, avant bien avant, il y a eu Noé et son arche. L’arche de Noé. Le déluge. Un bateau. Des animaux. Noé a pu sauver un couple de toutes les espèces animales. Nous ne pouvons même plus espérer en faire autant. Et je me dis que l’homme ne tire aucune leçon du passé. La bible et tous les textes sacrés ne sont pas que des mythes, ils sont notre histoire, notre mémoire, notre pensée. Ils devraient. Il y a eu le déluge. Il y a eu les 7 plaies d’Égypte. Évidemment, c’est vrai. Pourquoi ça ne le serait pas? L’Égypte. Je suis à moitié égyptienne et c’est peut-être pour ça que j’ai une grande conscience que la fin d’une civilisation peut être. Advenir. Évidemment. Je le sais. Et je crois, oui, vraiment, je crois que nous y allons à grand pas. Vers la fin de notre civilisation. Pas la fin du monde, non. La fin de notre civilisation. Telle qu’on la connaît. Foutue société de consommation. Les tsunamis, cataclysmes et autres raz-de-marée. Les Louise, Georges, et Léon tourbillons qui déciment le Dakota, des pays entiers et charrient avec eux des montagnes de larmes et de pluies, ne sont que les annonciateurs d’un dérèglement plus grand. Le déluge. Le vrai. Celui qui emportera tout sur son passage. Les femmes et les enfants d’abord. Et les hommes aussi. Je ne crois pas à la fin du monde. Il y aura des survivants. Il s’agira pour eux de tout recommencer. En apprenant cette fois du passé. Peut-être. À moins que ce ne soit le lot de l’être humain que de répéter, encore et encore, assez, pour finalement apprendre. Répéter jusqu’au déluge. Jusqu’à la nausée. Ne pouvons-nous pas apprendre maintenant? Changer maintenant. Ne plus penser, après moi le déluge. Penser qu’il est déjà là. Le penser vraiment. Et se demander ce que je peux faire, plutôt que de me plaindre de cette pluie qui n’arrête pas de tomber. Et se demander ce que je peux faire, pour, peut-être pas arrêter la pluie, mais la calmer, dans mon cœur, regarder ailleurs, dehors, je ne suis pas seul, il y a le monde aussi. Et, même si nous ne pourrons jamais tout changer, revenir en arrière, nous pouvons regarder en arrière pour tirer des leçons du passé. Ré-apprendre de ceux qui n’ont pas oublié, les peuples racines, eux, survivront au déluge certainement, ils ont survécu à tout. Et prier, faire et prier, qu’il ne soit pas trop tard, que mieux vaut tard que jamais, qu’on peut encore essayer de sauver le monde, la civilisation telle qu’on la connaît et, pour la première fois de l’humanité, décider qu’on peut allier progrès et respect, ne pas sombrer dans la décadence. Ne pas décliner. Encore et encore. L’Égypte. Les égyptiens. Mais les grecs et les romains. Les incas et les mayas certainement, même si nous n’en savons rien, même s’il ne reste que des traces. Oui, nous pouvons nous dire, nous, que l’homme va comprendre, apprendre, ne pas être soumis à son déluge intérieur pour pouvoir éviter le déluge extérieur. L’anéantissant. L’ensevelissement. De soi et des autres. De l’autre. Du monde qui, lui, sera toujours debout, finira par gagner. La nature est plus forte que tout. Son instinct de vie est bien meilleur que le nôtre. Elle nous tuera à trombe d’eau s’il le faut.

Alors, j’écoute la pluie. Je l’entends. J’entends le déluge. Je l’attends. Je me dis que le temps qu’il fait, si, quelquefois, c’est vraiment important. Surtout quand le temps qu’il fait est déréglé. Et je me sens impuissante. Que faire quand tout part à vau-l’eau, c’est le cas de le dire. Je me demande. Ce que je peux faire. Que faire? Sous le déluge. En attendant le déluge. Pour éviter le déluge. Je ne sais pas. Je ne peux pas faire grand-chose mais je crois aux colibris. Chacun sa part. Une goutte d’eau contre un incendie de forêt. Une pensée contre des trombes d’eau. Alors, je vais faire ce que je sais faire, et qui n’est pas toujours si simple, je vais vivre. Vivre vraiment. Je vais vivre et continuer à faire ce que je sais faire, parler de ce qui m’importe, de ce qui me choque, de ce qui me plait. Je vais continuer à m’indigner. A ne pas accepter chaque chose que je peux changer. À voyager. À transmettre. Mes valeurs. Qu’on peut venir de la boue sans en charrier, faut pas charrier quand même, même sous le déluge. A rester droite. A Résister. Je vais continuer à croire que tout est possible. Même un monde meilleur. Surtout un monde meilleur. Que nous pouvons tous apprendre de notre passé. Même l’humanité. Que c’est à ça que sert la vie. À progresser. Que tout se recycle. Alors, continuons à avancer, à mettre en commun nos énergies pour créer, ensemble, un monde meilleur. Que chaque énergie compte. Que tout compte dans la grande marche du cosmos. Qu’il y a des causes et des effets. Et des conséquences. Qu’il n’est jamais trop tard. Que tout se répare pour peu qu’on veuille bien essayer. Que le passé est passé mais que l’avenir se joue dans le présent. Maintenant. Et que, ce présent change, un peu, le sens du passé. Voila. Oui. Je vais continuer. À me battre. Pour moi, pour nous, pour elle, pour la planète. Même si je ne fais pas assez, je fais ce que je sais faire. Raconter. Dire. Dénoncer. Je crois que tout est possible. Oui, même le meilleur, même un monde meilleur. Bien sûr. Alors, je vais faire ce que je sais faire, l’écrire, le raconter, l’inventer. Dans le présent. Et je vois déjà, dans l’avenir un autre déluge, un déluge d’émotions, de rêves, de sensations, d’espoir. Je vois une petite fille. Elle s’appelle Neyla. Elle s’appelle présent, don, offrande, c’est le nom qu’on lui a donné. Elle est ma fille. Elle est mon présent. Alors oui, pour elle, je vais continuer. Je vais aller la chercher et je vais espérer un monde meilleur, je vais le fabriquer avec le doux bruit de la pluie sur le toit et pour seul déluge, celui de mon amour à donner.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus